Rome baroque : musique éclatante, silence imposé aux femmes

Quand on pense à la musique baroque, on imagine souvent les fastes de Versailles, les cantates de Bach ou les opéras flamboyants de Haendel. Mais Rome, centre spirituel de la chrétienté, a aussi été un foyer musical majeur au XVIIe siècle. Pourtant, derrière la splendeur des compositions et l’essor des formes nouvelles comme l’oratorio, se cache une réalité moins brillante : les femmes y étaient pratiquement absentes de la scène.

Rome, un centre musical intense… et paradoxal

À l’époque baroque (vers 1600–1750), Rome était l’un des plus grands centres artistiques d’Europe. Soutenue par les papes et de puissantes familles comme les Barberini, la ville regorgeait de compositeurs talentueux, d’instruments rares et de mécènes passionnés.

Des figures comme Giacomo Carissimi, Luigi Rossi ou Arcangelo Corelli y ont fait rayonner la musique sacrée et instrumentale. L’opéra, arrivé de Florence, y a brièvement connu un essor spectaculaire dans les années 1630 grâce à des productions somptueuses, souvent liées aux grandes familles aristocratiques.

Mais, Rome n’était pas Venise. Ici, le poids de l’Église et de la morale chrétienne imposait des limites très strictes.

Une scène interdite aux femmes

Contrairement à d’autres villes italiennes, où les femmes pouvaient parfois chanter sur scène ou dans les théâtres d’opéra, Rome interdisait formellement aux femmes de se produire en public. Cette règle, influencée par la morale catholique, était particulièrement stricte dans la capitale papale. Le théâtre et la musique étaient surveillés, et toute apparition féminine sur scène était considérée comme scandaleuse.

Mais l’opéra exigeant des rôles féminins, comment faire sans femmes ?

Les castrats : stars d’un compromis moral

Pour pallier l’absence de femmes sur scène, Rome s’est tournée vers une solution unique : les castrats. Ces hommes, castrés avant la puberté pour conserver leur voix aiguë, devinrent les grandes vedettes des scènes romaines.

Des chanteurs comme Farinelli ou Senesino ont captivé l’Europe entière avec leur puissance vocale et leur virtuosité. À Rome, ils incarnaient aussi bien des héros que des héroïnes, offrant au public des performances spectaculaires dans des rôles féminins – un paradoxe troublant entre la morale religieuse et les exigences de l’art.

L’oratorio, un espace musical plus « acceptable »

Dans ce contexte, une autre forme musicale va émerger à Rome : l’oratorio. Sorte de cousin spirituel de l’opéra, l’oratorio était une œuvre dramatique chantée, mais sans mise en scène ni costumes, et souvent à thème religieux. Il se produisait dans des églises ou des oratoires.

L’oratorio permettait aux compositeurs d’explorer les émotions humaines, les récits bibliques, et les tensions dramatiques – tout en restant dans un cadre moralement acceptable. Là encore, les voix de femmes étaient souvent remplacées par des castrats ou des garçons.

Et les femmes dans tout ça ?

Si elles étaient bannies de la scène, certaines femmes pouvaient toutefois chanter dans les cercles privés – salons aristocratiques, académies musicales ou couvents. D’ailleurs, plusieurs couvents romains étaient réputés pour la qualité exceptionnelle de leurs chœurs féminins, au point d’attirer des foules… au grand dam des autorités ecclésiastiques.

Une richesse musicale marquée par la censure

La musique baroque romaine est à la fois fascinante et révélatrice : elle montre comment la créativité artistique peut s’épanouir même sous des contraintes sociales et religieuses fortes. Mais elle rappelle aussi que l’histoire de la musique, comme celle de l’art en général, est marquée par des inégalités profondes – ici, une scène d’où la moitié de l’humanité était exclue.

Aujourd’hui, en redécouvrant ces œuvres, nous pouvons aussi rendre hommage à celles qui ont chanté dans l’ombre, derrière des murs ou dans des salons, loin des projecteurs – mais non sans talent.